GUHRKE Laura Lee - PLAISIRS COUPABLES - Tome 3 - Les Noces de la Passion

À ce moment, la porte du Wild Boar s'ouvrit à la volée et l'objet de leur discussion fit une entrée remarquée dans la pièce. John ne jeta qu'un regard à la foule avant de se diriger vers eux. D'un grand geste, il ôta son chapeau et vint se camper devant sa femme, ignorant délibérément tous les autres. Et quand il lui adressa la parole, un seul mot sortit de ses lèvres.
— Non!
— Je vous demande pardon? murmura Viola en battant des paupières. «Non» quoi? Êtes-vous en train de parler du bébé?
— Non, vous ne me quitterez pas! Je ne vous le permets pas !
Viola entrouvrit les lèvres tandis que progressivement ses paroles faisaient sens en elle.
— John... commença-t-elle.
— Je ne tolérerai aucune discussion à ce sujet, Viola! D'un grand geste du bras, il engloba la tablée et poursuivit :
— Ils peuvent tous rentrer chez eux, mais vous, vous n'irez nulle part sans moi.
A présent amusée par la cocasserie de la situation, la jeune femme sourit et fit une nouvelle tentative.
— Je n'ai...
— Quant à James, je vous annonce que nous le gardons.
— James?
— Le bébé! expliqua-t-il d'un air agacé. J'ai décidé de le garder avec nous, à Hammond Park, où nous relèverons comme notre fils. Vous et moi. Ensemble. Voyez-vous, j'ai longuement réfléchi à la situation et c'est la seule chose à faire. Je sais que je n'ai aucun droit d'exiger cela de vous, je sais aussi que cela ne va pas être facile, mais nous devons le faire. Cet enfant est à présent sous ma responsabilité, et c'est à moi de veiller à son éducation.
— Oui, bien sûr, mais...
— Quant à Emma, elle est en route pour les Amériques. Elle ne veut pas de ce bébé, alors que moi j'en veux! Vous allez devoir m'aider à l'élever. Cet enfant a besoin d'une mère, cette mère ne peut être que ma femme, et ma femme c'est vous! Raison de plus pour ne pas me quitter.
Un muscle se crispa sur sa mâchoire, et ce fut avec une énergie nouvelle, les yeux flamboyants de colère, qu'il poursuivit sa plaidoirie.
— Nous en avons fini de nous fuir l'un l'autre, Viola! C'est là notre problème, depuis trop longtemps. Nous n'avons pas arrêté, au cours de ces dix années, de chercher à nous éviter. Moi plus que vous - je dois l'admettre - mais cela ne risque plus de se reproduire. Je vous l'ai promis. Vous vous rappelez? Je vous ai juré que je ne vous tournerai plus le dos à la première difficulté, et je tiendrai parole. Tout comme je ne vous laisserai pas me tourner le dos non plus!
Viola effectua une dernière tentative.
— John, je n'ai pas...
— Bon sang! fulmina-t-il en jetant rageusement son chapeau sur le sol. J'essaie de vous parler, femme! Voudriez-vous bien cesser de m'interrompre pour que je puisse le faire?
Renonçant à intervenir, elle croisa les bras et le regarda s'énerver de plus belle.
— Grands dieux, Viola! Parfois vous me rendez fou... Depuis le temps que vous souhaitez que je vous parle, vous pourriez au moins...
John conclut sa phrase par un grognement de frustration et se tut quelques secondes, durant lesquelles il la fixa avec une étrange intensité.
— Aucune femme ne me fait autant d'effet que vous... reprit-il enfin d'une voix plus calme. Et le pire, c'est que je ne sais même pas pourquoi.
Viola réprima le sourire qui lui montait aux lèvres. Un sourire aurait eu pour effet de ruiner tous les efforts de John, alors que ses propos commençaient à devenir intéressants.
— Je ne sais pas pourquoi vous me faites cet effet-là, mais personne d'autre que vous ne peut d'un seul regard réprobateur me réduire à l'état de loque. De même, vous êtes la seule à faire s'ouvrir les deux devant moi rien qu'en me souriant... Dieu sait que j'ai connu beaucoup de femmes dans ma vie, mais une seule est parvenue à me faire sentir que j'avais un cœur au creux de la poitrine et non un trou béant. Cette femme, c'est vous.
Toute envie de sourire avait déserté Viola. De toute évidence, John était d'une sincérité absolue. Il n'y avait plus rien de drôle ni de décalé dans ses propos. Il venait de lui offrir le compliment le plus touchant qu'elle eût jamais entendu.
Après avoir repris son souffle, il continua sur sa lancée:
— J'aime vos yeux couleur de limon anglais et vos cheveux dorés comme le soleil. Chaque matin, je remercie Dieu d'avoir inventé la confiture de mûres. J'aime cette petite fossette, au coin de votre bouche, et j'aime la voir se creuser quand vous riez. J'aime me disputer avec vous, à cause de nos réconciliations. Lorsque j'ai improvisé ce poème sur vous dans la barque, j'en pensais profondément chaque mot. Nulle autre que vous ne m'est plus chère, ni ne le sera jamais. Pour chaque instant qu'il me reste à vivre, vous êtes la seule pour moi.
Il prit le temps de ramasser son chapeau à ses pieds et de l'épousseter du plat de la main avant de poursuivre, plus ombrageux et séduisant que jamais :
— Quant à ma poésie, sachez que nulle autre que vous n'a jamais eu l'honneur de l'entendre. Et je suis peut-être l'homme le plus stupide sur terre...
— Vous voyez, intervint Anthony d'une voix grinçante, je ne m'étais pas trompé à son sujet.
Sans se laisser troubler, John choisit de l'ignorer.
— ... et il m'a peut-être fallu neuf ans pour y voir clair, mais aujourd'hui je peux vous affirmer que je sais ce qu'est l'amour. Je le sais parce que vous me l'avez appris. Je vous aime, Viola. Je ne vous mérite pas, je ne vous ai jamais méritée, mais le fait est que je vous aime. Plus que tout au monde. Plus que ma vie même...
Sur ces dernières paroles prononcées avec ferveur, John se tut. Viola attendit un moment, toussota dans son poing fermé, et demanda d'une petite voix émue :
— En avez-vous terminé?
John lança un long regard panoramique sur la salle. Viola comprit alors qu'il enregistrait seulement la présence de tous les clients de l'auberge qui, depuis le début de sa surprenante déclaration, n'avaient d'yeux que pour lui.
Le plus dignement possible, il redressa les épaules, pointa le menton et rajusta sa cravate.
— Oui.
Raide comme la justice, il tourna les talons et regagna la porte, au seuil de laquelle il s'arrêta pour se retourner vers elle.
— Je rentre à Hammond Park... lança-t-il avec dans la voix une nuance de défi. Notre maison. J'y attendrai le retour de ma femme dans notre foyer, où se trouvent sa place et son devoir.
Sur ce, il ouvrit la porte et la claqua derrière lui, aussi violemment qu'il l'avait ouverte quelques minutes plus tôt.
Après son départ, l'assistance demeura aussi silencieuse qu'une assemblée de moines. Ce fut Dylan qui, le premier, récupéra suffisamment ses esprits pour lancer d'une voix railleuse :
— Ma chère Viola, je ne pense pas qu'il soit utile de nous pencher plus longuement sur le sujet. Il me paraît clair que votre mari est follement amoureux de vous, car il vient de se conduire en parfait idiot devant tous ses voisins rien que pour vos beaux yeux...